4 Février 2020

InSight, quand le vent fait trembler Mars

À travers l’atterrisseur InSight, les scientifiques du monde entier peuvent écouter la planète Mars bouger et même respirer. Pour comprendre comment son sol et son atmosphère peuvent s’influencer mutuellement, nous en discutons avec le planétologue Aymeric Spiga du Laboratoire de Météorologie Dynamique et Francis Rocard, responsable des programmes d’exploration du Système solaire au CNES.

Bien que 170 fois plus ténue que l’atmosphère de la Terre, celle de Mars a des effets perceptibles et utiles pour comprendre ce qui se passe aussi bien au-dessus qu’en dessous de la surface. Pour cela, InSight est équipé de deux instruments : son sismomètre SEIS qui détecte les vibrations du sol et la station météorologique APSS qui mesure la pression, la température, la vitesse et la direction du vent. Lorsqu’une perturbation atmosphérique appuie sur la surface ou la relâche, ces vibrations sont détectées  par le sismomètre et comparées avec les données atmosphériques.

« Ce bruit atmosphérique est ensuite décorrélé du signal sismique de SEIS pour améliorer la détection des tremblements du sol. Cela améliore considérablement le facteur de qualité donc il est crucial d’avoir cette station météo » commente Francis Rocard.

Grâce à cela, l'atterrisseur InSight est capable de percevoir son environnement sur des milliers de kilomètres. Alors que nous dit-il sur l’activité de Mars ?
« La plupart des séismes détectés l’ont été entre 17h et 20h, explique Aymeric Spiga. Dès que la nuit tombe, la surface n’est plus chauffée, l’atmosphère n’est plus turbulente, et c’est la fin des mouvements turbulents thermiques. Donc il y a 3 régimes : très turbulent l’après-midi, calme en fin d’après-midi, puis une petite reprise pendant la nuit à 22h. »

Déploiement du dôme de protection du sismomètre SEIS sur Mars, 2 février 2019. © NASA/JPL Caltech/, 2019

Pour le moment, il s’agit donc surtout de bruit, de séismes dus aux vents. Il est important de comprendre l’influence de l’atmosphère pour ensuite examiner les séismes réellement causés par l’activité géologique de Mars.

Les vents, alliés d’InSight

Mais les vents ne sont pas qu’une source de bruit à éliminer. Ils sont également un signal qui permet d’étudier le sous-sol de Mars, comme c’est le cas avec les dust devils. De petits tourbillons très fréquents qui soulèvent et transportent de la poussière.
« Le baromètre est capable de les détecter à proximité d’InSight par une baisse de pression, poursuit Aymeric Spiga. Mais à plus grande distance, ils déforment légèrement le sol comme des aspirateurs géants. C’est détectable par le sismomètre, leur signal sismique est très clair et très bien identifié. Donc on utilise la signature de ces dust devils pour sonder la structure du sol martien. InSight s’est posé dans un endroit où il y a beaucoup de ces tourbillons, probablement le plus riche en tourbillons jamais visité par une mission. »

Mais les dust devils ne sont pas dangereux pour InSight. Avec la faible pression atmosphérique, ils n’ont pas assez de force pour l’endommager. Au contraire même, tient à préciser Francis Rocard : ils sont bénéfiques parce qu’ils nettoient la poussière qui se dépose sur les panneaux solaires.

 Dust devils pris par le rover Spirit le 13 juillet 2005 dans le cratère Gusev. Temps réel : 12 minutes 17 secondes. © NASA/JPL/Cornell.

Il y a déjà eu des mesures météo de pression et de température effectuées au sol par Curiosity, Phoenix, Pathfinder, Viking, etc. La nouveauté d’InSight, c’est que ses capteurs opèrent de jour comme de nuit, et à haute fréquence comparé aux précédents. De quoi découvrir l’atmosphère de Mars sous un nouvel angle ?
« Bien sûr on s’attend à trouver les mêmes événements atmosphériques qu’avant, mais aussi de nouveaux, répond Aymeric Spiga. Certains phénomènes n’ont été observés qu’une seule fois. Curiosity par exemple avait repéré des oscillations de pression mais c’était isolé. Grâce à InSight, c’est toute la nuit que nous pouvons étudier les ondes de gravité. »

Les ondes de gravité

Que sont les ondes de gravité détectées par InSight ? À cause de la pesanteur d’une planète, les vents s’écoulent le long du relief en créant des perturbations régulières. Des ondes qui se propagent dans l’atmosphère et la perturbent, ce qui intéresse les chercheurs comme Aymeric Spiga :
« Dès qu’il y a une perturbation, un vent local, une montagne, cela crée des ondes de gravité. Mais on ne les observe pas tous les soirs. Ça dépend de la surface donc elles nous renseignent sur les conditions de toute la région. Horizontalement près de la surface, mais aussi verticalement jusqu’à 120 km d’altitude. »

Mais puisque ces ondes de gravité sont détectables grâce aux vents et qu’ils sont plus forts en journée, pourquoi leur mesure a lieu la nuit ?
« Parce que pendant la journée, ce sont les variations turbulentes de vent qui sont élevées. Pour les ondes de gravité, ce qui compte au contraire c’est le vent ambient, qui peut lui être plus fort la nuit. D’autant que les ondes de gravité peuvent venir d’assez loin, là où les conditions de vent sont différentes de la région d’InSight. »

Carte des vents de Mars par la sonde MAVEN. Credits: NASA Goddard/MAVEN/SVS/Greg Shirah

Cette interaction entre vents et reliefs peut ensuite être combinée avec la cartographie détaillée de la surface réalisée en orbite depuis des décennies. Cela fait d’InSight un bel exemple des collaborations qu’il peut y avoir entre disciplines, laboratoires, et agences spatiales. Un atterrisseur immobile qui scrute Mars sur des milliers de kilomètres, et fournit les données aux chercheurs à des millions de kilomètres de là.

Ondes de gravité sur Terre, visibles dans les nuages au-dessus des îles Sandwich du Sud par le satellite Terra le 23 novembre 2009. © NASA, Jeff Schmaltz, Goddard Space Flight Center.

Contacts

Aymeric Spiga, Laboratoire de Météorologie Dynamique
Maître de conférences à Sorbonne université
Mail : aymeric.spiga at lmd.jussieu.fr
Tel : 01 44 27 28 47

Francis Rocard, CNES
Responsable des programmes d’exploration du Système solaire
2 place Maurice Quentin 75039 Paris Cedex 01
Mail : francis.rocard at cnes.fr
Tel : 01 44 76 75 98