26 Novembre 2018

Que sait-on de l’intérieur de Mars ?

Les premières missions à atteindre le sol de Mars remontent à quarante ans. Pourtant aujourd’hui encore, il reste encore beaucoup de zones d’ombres sous sa couche d’oxyde de fer. Pour mieux comprendre la nature de la planète, l’atterrisseur InSight embarque à son bord de quoi forer jusqu’à 5 mètres de profondeur, et écouter le sol sur des milliers de kilomètres. À l'occasion de son arrivée, nous discutons de ce que l’on sait déjà et des découvertes espérées avec Francis Rocard, responsable des programmes d’exploration du Système solaire du CNES, et Philippe Laudet, chef de Projet SEIS pour InSight et responsable du programme Astronomie et Astrophysique du CNES.

Champ magnétique et température interne

Le champ magnétique de Mars s’est arrêté il y a entre 3,9 et 4 milliards d’années. Son existence est directement liée aux mouvements de convection au sein du noyau : on parle d’effet dynamo. Cet arrêt du noyau a été très précoce par rapport à la Terre, parce que plus une planète est petite, plus elle se refroidit vite. Pour mesurer la dissipation de cette énergie et retracer l’histoire géologique de Mars, InSight va forer progressivement, par paliers de 50 cm.

« Le capteur HP3 va faire des mesures de plusieurs jours pour mesurer la température, explique Francis Rocard. C’est une mesure très difficile, parce que ça nécessite de creuser à une profondeur suffisante pour que le Soleil n’influence pas les mesures. À 5 mètres, on devrait avoir une température constante et ça nous donnera le flux de chaleur, la vitesse de refroidissement de Mars. C’est comme sur Terre, lorsque vous visitez une grotte : quelle que soit la saison, vous obtenez 12 degrés et ça correspond au flux de chaleur de la Terre. »

Nature et état du noyau

La structure interne de Mars : du centre vers la périphérie, on distingue la graine, le noyau externe, le manteau, la croûte et l'atmosphère (© IPGP/David Ducros)

À partir des signaux mesurés de l’intérieur du sol et même depuis l’orbite, InSight obtiendra des informations bien plus précises sur le noyau : « son rayon est estimé à 1700 km, plus ou moins 300 km, poursuit Francis Rocard. Avec cette mission on devrait atteindre une précision de 75 km donc 4 fois mieux. Sa densité aussi devrait aussi être nettement améliorée : actuellement l’estimation est à 6,4 plus ou moins 1. On devrait atteindre une précision de l’ordre de 0,3 ». Pour avoir un ordre de grandeur, la densité de l’eau est de 1 et celle du fer est de 7,8.

Mais avec son refroidissement rapide se pose la question de l’état de la matière qui le compose : est-il toujours fluide, ou complètement solidifié ? Pour cela, il faudra prendre de la hauteur en mesurant l’oscillation de Mars sur son axe de rotation. L’instrument RISE utilisera les antennes de communication d’InSight et des relais en orbite (Mars Orbiter, Odyssey, probablement MAVEN et également le TGO de l’ESA).

« Si vous faites tourner un oeuf cuit, il ne tourne pas de la même façon qu’un oeuf cru fluide, qui continue de tourner sur lui-même, schématise Francis Rocard. Ça permet de remonter à des paramètres très divers, selon que le noyau est liquide ou solide. »

L’axe de rotation de la Terre est de 23° par rapport à l’équateur ce qui donne notre alternance de saisons. Ce nombre varie très faiblement, entre 22 et 24 grâce à la Lune qui le stabilise avec sa masse importante. Mais dans le cas de Mars et de ses deux petites lunes, il est beaucoup plus instable. Cet angle est actuellement de 25° et a eu des variations à plus de 60° dans le dernier milliard d’années, et pratiquement 90° dans les 3 derniers milliards d’années.

Activité géologique et volcanique

Mars a eu une activité volcanique par le passé, et même assez importante en témoignent ses volcans du dôme de Tharsis. Pourtant, aucune zone de subduction n’est visible à sa surface, qui ne s’est pas renouvelée. Ce qui a maintenu les volcans au-dessus de leur point chaud, et leur a donné une taille gigantesque : Olympus Mons culmine à 22,5 kilomètres de hauteur. Les dernières coulées volcaniques semblent ne dater que de 2 millions d’années, ce qui en temps géologique est très court : il n’est pas exclu que le volcanisme soit toujours actif.

« Philippe Lognonné, l’investigateur principal de SEIS, a coutume de dire que pour l’activité sismique et la structure interne de Mars, on en est à peu près à la situation de ce qu'on connaissait de l’intérieur de la Terre il y a un siècle, cite Francis Rocard. Donc très peu de choses en fait, c’était le début de la sismologie. On a une page vierge, hormis tous les modèles qui ont été faits par les théoriciens notamment pour expliquer l’absence de tectonique des plaques, puisqu’il n’y a pas de zone de subduction visible à sa surface. »

Vue de la surface de Mars avec le volcan Olympus Mons près de l’équateur. Crédits : NASA/JPL-Caltech/University of Arizona

« La géophysique est un objectif majeur. 95% de Mars est encore inconnu, pour l’intérieur on n’a que la sismologie. » confirme Philippe Laudet

Et pour comprendre ce qui se passe sous la surface, il faut écouter avec un sismomètre. C’est le but de SEIS, imaginé par l’IPGP et fabriqué par Sodern sous maîtrise d’œuvre du CNES, qui a été responsable de son intégration, de ses tests et de sa livraison à la NASA. SEIS détectera non seulement les éventuels séismes, mais utilisera aussi les impacts de météorites pour étudier le sous-sol. À cause de la pression atmosphérique beaucoup plus faible que sur Terre, les météorites survivent beaucoup plus souvent à la traversée et atteignent plus violemment le sol. « On ne pense pas que ces météorites causent des séismes très puissants, estime Francis Rocard. Donc on devrait avoir des mesures locales pour la mesure de l’épaisseur de la croûte. On espère ainsi détecter des impacts jusqu’à 1000 km de distance d’InSight. »

sismologie extraterrestre

Avant SEIS, il n’y a pas eu beaucoup de précédents en sismologie extraterrestre. Il y a d’abord eu un sismomètre sur la Lune dès 1969 avec Apollo 11. Il ne fonctionna que pendant un mois à cause d’une alimentation sur batterie. Apollo 12, 14, 15, 16 et 17 apportèrent chacun un sismomètre (ALSEP pour Apollo Lunar Surface Experiments Package), qui fonctionnèrent en réseau jusqu’en 1977 grâce à un RTG qui est une pile nucléaire. Cette expérience a permis d’étudier le système Terre-Lune et leur origine commune. Pendant ce temps, la NASA préparait déjà l’envoi de deux sismomètres sur Mars à bord des deux atterrisseurs Viking. Mais après leur arrivée en 1976, celui de Viking 1 n’a pas pu être déverrouillé, le rendant inutilisable. Et celui de Viking 2 qui était relié à la plateforme enregistrait les mouvements parasites de la sonde, en particulier ceux du vent.

Puis l’histoire de SEIS a commencé dans les années 90, lorsque Philippe Lognonné de l’IPGP a débuté le développement d’un premier sismomètre, destiné à étudier l’intérieur d’une autre planète. L’instrument nommé « OPTIMISM » est accepté pour la mission russe Mars 96 et embarqué en 1996. Malheureusement, le lanceur Proton a un dysfonctionnement, et après quelques orbites Mars 96 retombe en brûlant dans l’atmosphère terrestre. La sismologie martienne est alors reportée jusqu’à une nouvelle mission.

« Après cet échec de Mars 96, le CNES a continué de financer le sismomètre et a cherché d’autres missions candidates pour cet instrument, rappelle Philippe Laudet. Mais ce n’est pas arrivé pendant 15 ans : il y a eu des missions prévues à destination de Mars, de la Lune, des astéroïdes, mais aucune n’a abouti. La dernière c’était Selene 2 de la JAXA, en 2010. Mais le sismomètre n’avait déjà plus rien à voir avec celui de Mars 96. Et en 2011 enfin, la NASA a sélectionné le projet InSight, appelé GEMS à l’époque, parmi les 29 de l’appel d’offre Discovery de 2010. Il s’ensuit un développement rapide : fait rare, certaines pièces ont été développées en avance. »

Le lancement d’InSight est d’abord prévu pour 2016. Mais fin août 2015 lors de tests au CNES, la sphère dans laquelle sont enfermés les trois sismomètres large bande de l’IPGP/Sodern s’avère défectueux dans des conditions bien précises à -50°C. Pour empêcher tout imprévu, la NASA fait le choix de reporter le lancement à 2018.

« Pendant 20 ans vous avez un marathon, et après vous avez 7 ans de course de vitesse » résume Philippe Laudet

Mais contrairement à la Lune, il n’y aura personne pour déployer le sismomètre. Le bras d’InSight devrait être déployé autour du 10 décembre, pour poser SEIS entre Noël et le jour de l’an. Le bouclier thermique devrait être posé dessus autour du 5-10 janvier 2019. Et début avril tout devrait être prêt pour fournir les premières données scientifiques.

De l’extérieur vers le centre : un bouclier thermique et éolien, une enveloppe de protection thermique, puis l’enceinte de confinement sphérique dans lesquels sont installés les 3 pendules/détecteurs. © IPGP/David Ducros

La confirmation de l’atterrissage devrait parvenir à la Terre ce lundi 26 novembre à 20h53m40s très exactement. Insight atterrira sur la Plaine d’Elysium, au niveau de l’équateur de Mars, puis déploiera deux panneaux solaires circulaires pour alimenter ses instruments pendant les 2 ans de mission prévus.

Contacts

Responsable des programmes d’exploration du Système solaire
Francis Rocard
Courriel : francis.rocard at cnes.fr
Tél : 01 44 76 75 98 / +33 1 44 76 75 98
Fax : 01 44 76 78 59 / +33 1 44 76 78 59
Adresse :
Centre National d'Etudes Spatiales, 2 place Maurice Quentin, 75039 Paris Cedex 1, France

Responsable du programme Astronomie et Astrophysique
Philippe Laudet
Courriel : philippe.laudet at cnes.fr
TEL : 05 61 27 31 18 / +33 5 61 27 31 18
Adresse :
Centre National d'Études Spatiales, 18 Avenue Édouard Belin, 31401 Toulouse Cedex 9, France

InSight avec le sismomètre français SEIS à gauche, et sa sonde de flux de chaleur allemande HP3 à droite
© NASA/JPL Caltech, 2018